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    La pensée

    Un soir, vaincu par le labeur
    Où s'obstine le front de l'homme,
    Je m'assoupis, et dans mon somme
    M'apparut un bouton de fleur.

    C'était cette fleur qu'on appelle
    Pensée ; elle voulait s'ouvrir,
    Et moi je m'en sentais mourir :
    Toute ma vie allait en elle.

    Echange invisible et muet :
    A mesure que ses pétales
    Forçaient les ténèbres natales,
    Ma force à moi diminuait.

    Et ses grands yeux de velours sombre
    Se dépliaient si lentement
    Qu'il me semblait que mon tourment
    Mesurât des siècles sans nombre.

    "Vite, ô fleur, l'espoir anxieux
    De te voir éclore m'épuise ;
    Que ton regard s'achève et luise
    Fixe et profond dans tes beaux yeux !"

    Mais, à l'heure où de sa paupière
    Se déroulait le dernier pli,
    Moi, je tombais enseveli
    Dans la nuit d'un sommeil de pierre.

    René-François Sullyprudhomme



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